SÉNÉGAL – DISSOLUTION DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE : LE CONSENSUS, UN PRÉALABLE NÉCESSAIRE
Si le calendrier des prochaines
élections est respecté, le Sénégal tiendra des élections municipales en
décembre 2019, des élections législatives en juillet 2022 et des élections
présidentielles en février 2024. Des voix se sont élevées dans la classe politique,
notamment celles de représentants de la majorité présidentielle, pour suggérer
que le mandat des députés soit abrégé en vue de coupler en décembre 2019 les
élections municipales et les élections législatives. La durée de la présente
législature serait alors réduite à deux ans et demi.
La motivation annoncée de cette proposition serait de rationaliser le
calendrier électoral pour sortir le pays d’un climat de campagne électorale
permanente avec son lot de tensions politiques et de charges financières
lourdes pour le budget national. Au-delà de la motivation avouée,
l’organisation d’élections législatives anticipées en décembre 2019 peut donner
à la coalition gouvernante l’occasion d’élargir encore sa majorité
parlementaire et de réduire, en conséquence, le poids de l’opposition à
l’Assemblée nationale.
Il faut dire clairement que le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale,
qui consiste à mettre prématurément fin au mandat des députés, est prévu à
l’article 87 de la Constitution ; il est détenu par le Président de la
République. Il est conforme à la théorie parlementaire, parce que répondant au
pouvoir des députés de voter une motion de censure pouvant provoquer la
démission du gouvernement, conformément l’article 86 de la Constitution.
Toutefois, aussi légale soit-elle, la dissolution d’une institution élue par le
peuple reste une décision importante et grave, car elle constitue une rupture
de l’ordre démocratique. Aussi, l’exercice du pouvoir de dissolution devrait
toujours se faire à bon escient et dans des circonstances politiques exemptes
de tout soupçon de politique politicienne. A cet égard, il me semble important
de rappeler un certain nombre de principes républicains :
1) La tenue des élections à date échue, sans prolongation, ni réduction de
mandat est un des principaux marqueurs d’une démocratie mûre et apaisée.
Respecter les durées des mandats, c’est respecter les électeurs et leurs choix,
ce doit être la règle. Les modifier, c’est affaiblir la démocratie, ce doit
être l’exception.
2) La dissolution doit être sous-tendue par des motivations insoupçonnables,
notamment :
– Résoudre un conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, pour
éviter une crise de régime, qui peut déstabiliser les institutions ; c’est le
cas en France, avec la dissolution de 1962, lorsque les députés contestant la
réforme constitutionnelle proposée par le général de Gaulle, adopte une motion
de censure renversant le gouvernement. Le général de Gaulle réplique
immédiatement par la dissolution de l’Assemblée.
– Résoudre une crise politique ou sociale dure opposant le pouvoir exécutif à
une partie du Peuple. Dans ce cas, les électeurs n’ont pas à trancher un
conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais de mettre un
terme à une crise politique ou sociale, soit en renouvelant leur confiance au
pouvoir exécutif, soit en le désavouant. C’est ainsi qu’au moment des
événements de mai 68, le Président français Charles de Gaulle a dissout
l’assemblée pour procéder à de nouvelles élections devant confirmer ou infirmer
la confiance du peuple au pouvoir exécutif. Même si rien ne l’y oblige
constitutionnellement, il aurait quitté volontairement ses fonctions de
Président de la République si le peuple ne lui avait pas accordé une majorité à
l’Assemblée nationale. Ce type de dissolution est une dissolution
plébiscitaire.
– Donner à un Président de la République fraichement élu, une nouvelle majorité
parlementaire, lui permettant d’appliquer le programme sur lequel il a été élu.
C’est le cas des dissolutions de 2012 au Sénégal et de 1981 et 1988 en France.
Dans ces trois cas, le Président élu a trouvé à l’Assemblée nationale une
majorité parlementaire qui lui est défavorable. La dissolution avait pour objet
de mettre en cohérence la majorité présidentielle nouvelle et la majorité
parlementaire.
– Répondre à un impératif d’intérêt général indiscutable.
En revanche, la dissolution pour convenance partisane, notamment pour choisir
le moment le plus opportun pour tenir de nouvelles élections et amplifier sa
majorité parlementaire est étrangère à la tradition parlementaire à laquelle
nous appartenons ; elle ressemble, pour beaucoup, à une instrumentalisation des
institutions, à un abus de pouvoir et à un déni de démocratie. C’est le cas de
la dissolution décidée en 1997 en France par le Président Jacques Chirac, qui
était manifestement une dissolution opportuniste, parce qu’il disposait d’une
majorité à l’Assemblée qui lui était favorable et le pays ne traversait aucune
crise. Mal lui en a pris, les électeurs goutant peu cette dissolution
opportuniste, envoyèrent une majorité d’opposition à l’Assemblée nationale, qui
lui imposa une cohabitation de 1997 à 2002.
Alors, il est important que toute idée de dissolution de l’Assemblée nationale
soit jaugée à l’aune des critères ci-dessus. La suggestion de dissolution de
l’Assemblée nationale du Sénégal faite ces jours-ci n’échappe à la règle. Il
faudrait en plus qu’elle fasse l’objet d’un large consensus au sein de la
classe politique.
Le pouvoir exécutif sénégalais disposant d’une large majorité parlementaire,
qui le soutient sans faille, une dissolution ne saurait être justifiée par la
situation politique du pays ; du reste, personne n’a utilisé cet argument. En
revanche, s’entend l’argument de la rationalisation du calendrier électoral,
dans le double objectif de réduire les coûts d’organisation d’élections à
répétition et de limiter les effets de la paralysie de l’activité qui
caractérise les années d’élections. Mais, dans le souci partagé par tous de
détendre le climat politique au Sénégal et de cheminer vers une démocratie
apaisée, il est impératif que toute décision de dissolution anticipée de
l’Assemblée pour des raisons de rationalisation du calendrier électoral, fasse
l’objet d’un consensus politique national ou, au moins, l’accord des partis ou
coalitions de partis les plus représentatifs du pays.
Mamadou SENE
Source :dakaractu.com
kmayoo@kmayoo.com
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